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Rimbaud et Verlaine, poëtes et amants

Rimbaud : né à Charleville en 1854 - décédé le 10 novembre 1891 à Marseille.

Verlaine : né à Metz en 1844 - décédé à Paris en 1896.

Commentaire initial

Impossible de dissocier la vie de l'un et celle de l'autre. Rimbaud a marqué la vie et l'écriture de Verlaine comme personne d'autre alors que leur liaison n'aura duré que 2 ans à peine. Voici donc sur une page la vie de Rimbaud, celle de Verlaine (notamment ses autres passions homosexuelles) et à la fin, une rubrique spéciale sur la liaison entre les deux hommes.

Parcours de Rimbaud

Poète maudit qui, ayant tout écrit avant l'âge de vingt ans, devient trafiquant d'armes et meurt à trente-sept ans, Rimbaud a été considéré alternativement comme un voyou, un voyant, un vagabond, un escroc, un pervers, un prophète, comme un frère en marginalité de ceux qu'attire l'expérience des limites – drogues, amours interdites, musiques dangereuses – où est la «vraie vie», puisqu'elle est «ailleurs». Il laisse un texte fait de fragments épars, encore difficilement appréciable dans les cadres habituels de l'histoire littéraire.

Le seul texte que Rimbaud ait cherché à faire publier est un bref recueil de neuf poèmes en prose, Une saison en enfer . Ce sont des volontés étrangères, souvent après sa mort, qui ont réuni les Poésies et les lluminations. Mais c'est peut-être parce qu'il ne s'est pas soucié de sa carrière et parce qu'il avait pris la poésie pour une manière irréductible d'être au monde qu'il est devenu le phare de milliers de jeunes gens.

Errance et révolte

Le 10 mai 1876, Rimbaud signe un engagement dans l'armée coloniale hollandaise. Né en 1854 (à Charleville, dans les Ardennes), il a vingt-deux ans. En apparence l'aventure commence: même s'il déserte dès le mois d'août, même si plusieurs de ses aventures sont avortées (faux départ pour Alexandrie, en 1877, faux départ pour l'Orient, en 1879), de l'Allemagne à l'Égypte, de Chypre à la mer Rouge, jusqu'à Harar, en Éthiopie, les voyages auront duré quinze ans. Ils s'achèvent le 10 novembre 1891 à Marseille, où Rimbaud meurt quelques mois après avoir été amputé d'une jambe en raison d'une tumeur au genou.

En réalité, ce 10 mai 1876 met un terme à tout ce qui compte dans cette vie, c'est-à-dire l'œuvre. L'errance vraie, les dérives et les délires, l'exploration des frontières et des gouffres, c'était entre Charleville et Paris, avec quelques fugues, entre Londres et Bruxelles, dans la vieille Europe «aux anciens parapets» (le Bateau ivre), dans la poésie surtout, la seule affaire de sa vie. Après, il n'y a plus que des lettres, de pauvres comptes rendus de ses activités de marchand, des rêves mesquins de «réussite», des mots pour dire la souffrance physique. Sa poésie s'était construite sur la liquidation des héritages, sur la destruction rageuse du romantisme fade et du lyrisme niais. Sa vie de trafiquant tire un trait sur l'exotisme de pacotille, le pittoresque truqué, le mensonge des ailleurs. Qu'il l'ait voulu ou non, su ou ignoré, Rimbaud est un liquidateur. Et d'abord de son œuvre, de lui-même: ces quinze années de «trimbalage» valent par la lumière noire dont elles illuminent tout le reste. À tant d'adieux lancés dans les textes, à tant de défis, à tant d'arrachements rêvés – à l'ordre occidental, à sa culture, à ses «belles-lettres» – répondent un adieu véritable, un défi dangereux, un arrachement finalement mortel. Rimbaud a craché sa haine, ses révoltes – contre l'ordre établi, le milieu familial, les convenances, Napoléon III, le catholicisme; il a hurlé sa différence; il a écrit. Et puis il est parti. Ses vraies raisons – que d'ailleurs personne ne connaît – n'ont aucune importance. Que son épopée africaine soit pure dérision non plus. Ce qui compte et le distingue, c'est la cassure, le refus de la carrière d'écrivain et jusqu'à la volonté d'effacer la mémoire de la trace poétique: «Je ne m'occupe plus de ça», disait-il, dédaigneux, en parlant de la poésie et de son œuvre, qu'il considérait comme «des rinçures».

Un poète de seize ans

L'histoire de celui qui s'est «opéré vivant de la poésie» (Mallarmé) a commencé comme celle de tant d'adolescents de province qui écrivent des vers. Sous les yeux froids de la «mère Rimbe», obstinément là, Rimbaud subit l'ennui d'une petite ville des Ardennes, avec ses rituels conformistes, ses pesanteurs mesquines, dont celles de l'institution scolaire. Il est cependant un bon élève, qui obtient le prix de vers latins. Son père est rarement présent, puis complètement absent: officier, avec le goût du risque et la passion de l'écriture – mais son œuvre a sombré comme lui –, Frédéric Rimbaud disparaît quand son fils n'a que dix ans.

Le «Recueil Demeny»

Six ans plus tard, Rimbaud rencontre Georges Izambard, un jeune professeur de vingt-deux ans. Amitié décisive: Rimbaud lui montre les vers qu'il a déjà écrits, et où transparaît le modèle parnassien (néoromantisme, avec un grand souci de la forme parfaite, au nom de l'art pur). Quand éclate la guerre de 1870, il semble que Rimbaud l'ait d'abord perçue comme ce qui allait l'enfermer à Charleville: d'où une première fugue, manquée (l'errance est un apprentissage), suivie d'une deuxième, en octobre. Réfugié chez Izambard, Rimbaud rencontre Paul Demeny, poète lui aussi: pour lui, il recopie l'ensemble de ce qu'il a écrit jusqu'alors. Ce «Recueil Demeny», composé de deux cahiers, est le seul recueil poétique que Rimbaud ait conçu: il comporte des textes anciens(Soleil et Chair, le Forgeron, les Effarés, Sensation), et d'autres tout neufs (ceux qu'il a composés pendant la seconde fugue). Ce sont: Au Cabaret Vert, la Maline, Ma bohème, le Dormeur du val. L'échappée a été brève: après une remise aux mains de la police, il faut réintégrer Charleville, glacée et marquée par la guerre.

«Le Cœur volé»

La poésie de cet adolescent est encore pleine de réminiscences livresques, voire de pastiches (Baudelaire, Hugo, Théodore de Banville), et très sage malgré quelques audaces: de nouveaux mots, auxquels Rimbaud donne droit de cité en poésie, des images inattendues. Un esprit de dérision destructrice transparaît dans un ensemble encore consciencieux, en dépit de la fantaisie du bohémien. Un an plus tard, tout change: en février et en avril 1871, Rimbaud, qui vient de composer un long poème, le Bateau ivre , est à Paris. Il s'enthousiasme pour la Commune et s'indigne de la répression. Un poème, le Cœur volé, serait peut-être le récit d'un épisode dramatique. S'agit-il de violences qu'auraient fait subir des soldats au jeune révolté? d'une participation de celui-ci à des combats précédant la Semaine sanglante (21-28 mai 1871) qui met fin à la Commune de Paris?

«JE est un autre»

De retour à Charleville, Rimbaud y écrit deux lettres capitales: la première, le 13 mai, à Izambard, où il met violemment en accusation ceux qui mangent au «râtelier universitaire» et qui se contentent de la «poésie subjective», «horriblement fadasse». En même temps, il annonce son programme: «Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi? Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant [...]. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. [...] C'est faux de dire: Je pense. On devrait dire: On me pense.» Ces quelques formules d'un garçon de dix-sept ans sont parmi les plus célèbres de la littérature française. Pour autant, l'art poétique qu'elles suggèrent n'est pas simple: le refus de la poésie subjective consiste non seulement en celui de la poésie sentimentale, lyrique, romantique «à la Musset», que Rimbaud abhorre parce qu'elle enferme l'homme dans des conventions vides; il est, plus encore, rejet de la poésie soumise à la domination d'une classe, d'un dieu, d'un sujet: au «Cogito, ergo sum» de Descartes, il s'agit d'opposer le constat selon lequel le poète n'est pas le producteur mais le produit de sa production. «JE est un autre», déclare Rimbaud, et, dès lors, le poète est dépossédé de son identité, de sa liberté. À la mort de la subjectivité correspond la naissance de la poésie moderne. Désormais, l'œuvre embrasse son producteur; celui-ci est immergé dans une errance qui se confond avec la quête créatrice: «Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème/De la Mer, infusé d'astres et lactescent» (le Bateau ivre). Désormais, selon la formule d'André Breton, «la poésie est le contraire de la littérature».

L'aventure du voyant

La seconde lettre, du 15 mai, adressée à Paul Demeny, systématise ces quelques intuitions: liant les contraires (Chant de guerre parisien est présenté comme un «psaume d'actualité»; Rimbaud proclame: «Voici de la prose sur l'avenir de la poésie»), s'acharnant sur la vieillerie poétique, les clichés du romantisme, sur le Moi et sur le divorce entre le poète et la cité, ce manifeste donne la voyance pour enjeu de la poésie et le dérèglement de tous les sens pour son moyen. Que le prix à payer soit énorme, peu importe: au bout de cet horrible travail, il y a le savoir suprême. Malade, criminel, maudit, le poète se fait «voleur de feu» et accepte de plonger dans l'inconnu – «là-bas» – pour en rapporter de la forme ou de l'informe. Cette poétique était, en effet, révolutionnaire: choisir les sens contre le sens – «littéralement et dans tous les sens» est l'une des formules lancées par Rimbaud pour appréhender ses poèmes – implique que le discours exprimant un déjà-là et imitant la réalité soit déclassé au profit de l'ivresse du verbe. Dès lors, la poésie accueille tout ce qui excède et met en péril. Cela se traduit dans la production de Rimbaud par Mes petites amoureuses, les Premières Communions, les Poètes de sept ans et surtout Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs (art poétique antiparnassien), qui exercent une frénésie dévastatrice contre tout système, qu'il soit social, moral, institutionnel ou poétique. Et comme Rimbaud a choisi la Commune contre l'ordre bientôt sauvagement rétabli, il écrit à la même période la plupart de ses poèmes révolutionnaires (Chant de guerre parisien, l'Orgie parisienne, les Mains de Jeanne-Marie). Enfin, conséquent avec lui-même, il demande à Paul Demeny de détruire le premier recueil qu'il lui avait confié.

Verlaine

En septembre, Rimbaud rejoint à Paris Verlaine, qui lui a répondu dès sa deuxième lettre: «Venez, chère grande âme.» Verlaine quitte sa très jeune femme, Mathilde, qui lui donne un fils fin octobre, et commence avec le «Satan adolescent» deux années d'une relation semée d'orages et de brouilles. En 1873, à Bruxelles, Verlaine, ivre, tirera sur Rimbaud à nouveau prêt à le quitter, et sera condamné à une peine de prison. (En 1875, ayant purgé sa peine, il rencontrera une dernière fois Rimbaud, alors précepteur à Stuttgart, et tentera, en vain, de lui faire partager sa foi.) Deux ans de bohème (la vraie, celle des clochards de la place Maubert, celle de l'alcool et de la drogue) et de parasitisme, entrecoupés de retours à Charleville (en 1872), où, tandis que Verlaine écrit Romances sans paroles, Rimbaud rêve à des «espèces de romances», compose la Rivière de Cassis, Michel et Christine (repris dans Une saison en enfer) et songe à ses Études néantes, en pratiquant l'hallucination verbale. Entre les deux compagnons, le fossé s'élargit: Rimbaud est décidément du côté d'une autre poésie, de l'«alchimie du verbe» et des sens, quand Verlaine est revenu à la «fadasserie» subjective. Pris de vertige devant sa propre aventure intérieure, Rimbaud compose alors Une saison en enfer, qui est, entre autres, un voyage au bout de son enfer (avec Verlaine, avec la poésie, avec lui-même) et un bilan poétique. Texte de haine, texte âpre, Une saisonen enfer atteste le choix définitif de la prose. «JE» n'y est même plus un autre, il se cherche en vain, au bord dangereux de la folie. À dix-huit ans, Rimbaud a déjà parcouru un atroce chemin.

Les «Illuminations»

Il part pour Londres (où il avait déjà séjourné en 1873) avec un autre compagnon, Germain Nouveau. Les Illuminations , dont on ne connaît pas la date d'écriture avec certitude, sont probablement augmentées à cette époque. Ce sont quarante-deux textes en prose, dont l'interprétation demeure, aujourd'hui encore, parfaitement incertaine. Si leurs titres – Conte, Ouvriers, les Ponts, Aube, Métropolitain, Barbare –, par exemple, semblent clairs, le rapport entre les titres et les textes brouille aussitôt la lecture. Plutôt que de chercher d'improbables clés, mieux vaut sans doute accepter cette difficulté constitutive. Elle vient notamment de l'incohérence apparente des images, d'une syntaxe qui privilégie la juxtaposition, du refus surtout de «faire croire» à la «vérité» du monde textuel. Surréalité, fantastique, allusion systématique aux songes et à l'illusion, destruction finale de ce qu'on croyait construit font que, selon le mot de Tzvetan Todorov: «On comprend ce qui est dit, mais on ne sait pas de quoi on parle.» Dans les Illuminations, ce sont les mots qui ont l'initiative, ainsi la modernité du premier texte sans référent ni sens, dont l'auteur déclarait: «Il faut être absolument moderne.»

L'homme aux semelles de vent

Pas plus que ses Poésies, Rimbaud ne publiera ses Illuminations – le titre est de Verlaine, l'ordre des poèmes de leur premier éditeur – en 1886. Ne l'attendaient plus que l'errance, stérile cette fois, les déserts brûlants, le trafic, les métiers extravagants (interprète dans un cirque en Suède, chef de chantier à Chypre, marchand de bazar en Éthiopie), la gangrène et le délire. «L'homme aux semelles de vent», comme l'appelle Verlaine, est bien parti, faisant ainsi l'épreuve de la faillite de l'art, maudissant la poésie après l'avoir radicalement bouleversée, parce qu'il l'a confondue avec l'élan insensé du désir dont elle ranime indéfiniment la force mystérieuse.

(www.anthologie.free.fr/anthologie/rimbaud/rimbaud.htm )

Parcours de Verlaine

À côté de quelques très beaux poèmes, l'œuvre de Verlaine oscille entre une production animée de bons sentiments (la Bonne Chanson, Sagesse), des recueils aux qualités inégales, et une importante veine paillarde (Femmes, Hombres, posthumes). Quand elle lui appartient véritablement, ce qui fait le charme de la poésie de Verlaine, c'est sa musicalité, à la tonalité tendre et nostalgique. Il a tout essayé, imposant le vers impair comme le mètre par excellence de la fluidité et de la légèreté, le mètre sans prétention ni pose, qui permet de saisir les sensations les plus fines au moment même où elles vont s'évanouir.

La musique verlainienne

Paul Verlaine a été un enfant aimé: pour bien l'élever, son père, officier, démissionne de l'armée et vient s'installer avec son épouse à Paris, dans le quartier des Batignolles, en 1851, après quelques garnisons dans le Midi.

Entrée dans le monde littéraire

Dès la classe de quatrième, Paul écrit des vers. Bachelier à vingt ans, il prend un emploi d'expéditionnaire à l'Hôtel de Ville. Travail de rond-de-cuir, certes, mais qui lui permet de se lier avec de jeunes intellectuels et poètes, qui, déjà plus ou moins introduits dans le milieu journalistique et littéraire, lui donnent l'occasion de publier: son premier sonnet, «Monsieur Prudhomme», satire du bourgeois conformiste et content de lui-même, paraît dans la Revue du progrès, dirigée par Xavier de Ricard. Déjà bohème, amoureux de sa cousine Élisa, mariée et de sept ans son aînée, Verlaine, d'abord poète, ne ressent aucune vocation de fonctionnaire. Dans le salon de Mme de Ricard, la mère de son ami, il rencontre les écrivains qui comptent dans la décennie 1860-1870: Catulle Mendès, Villiers de L'Isle-Adam, Anatole France, José Maria de Heredia, Leconte de Lisle et, surtout, Théodore de Banville, qui règne alors avec un pouvoir bienveillant sur la littérature.

Inspiration parnassienne

Devenu critique littéraire de la revue l'Art, Verlaine reconnaît Baudelaire comme le plus grand poète du moment et se réclame de l'esthétique parnassienne. Celle-ci prescrit l'impassibilité, le refus de la confidence lyrique et sentimentale au profit d'un travail rigoureux de la forme pour atteindre à un idéal de beauté plastique. Il subsiste des traces de cette esthétique dans le premier recueil que Verlaine fait paraître, avec succès, en 1866: Poèmes saturniens. Parnassien, romantique, baudelairien bien sûr dans ces poèmes placés sous le signe de Saturne – la planète mauvaise qui distille le poison de la mélancolie et libère une imagination ravageuse –, Verlaine s'y montre aussi déjà complètement verlainien. La première section, Melancholia, chante la résignation, célèbre le «plus jamais» (never more), rappelle discrètement quelques souvenirs directement liés à la passion du jeune homme pour Élisa: «Après trois ans», «Mon rêve familier» sont parmi les plus justement célèbres des poèmes de Verlaine. La troisième, Paysages tristes, atteint d'emblée le cœur de l'originalité poétique de Verlaine: l'invention d'un paysage qui n'est plus l'image d'une passion ou d'un drame (comme chez les romantiques), qui n'est pas simple prétexte à un effet esthétique (comme chez les parnassiens), mais qui devient espace tremblant d'expression et de condensation des sensations les plus subtiles et les plus menacées de disparaître. Le paysage verlainien («Soleils couchants», «Promenade sentimentale», «La chanson d'automne» et ses «sanglots longs des violons de l'automne») est le miroir sensuel d'un état mental, d'une âme qui se disperse et se rêve tout doucement. Triste toujours, il dit exactement la tonalité privilégiée d'une poésie d'abord sensible aux valeurs musicales du langage.

Les «Vilains Bonshommes»

La mort d'Élisa, dont la silhouette hante les Poèmes saturniens – elle en avait d'ailleurs financé la publication –, vient brutalement frapper Verlaine en février 1867: l'absinthe et les illusions de la vie de bohème seront une réponse à son chagrin, et, avec des repentirs suivis de plongées dans l'alcoolisme et la débauche, Verlaine ne quittera plus ce mode de vie. Il rencontre François Coppée, Charles Cros, Charles de Sivry (dont il épousera la demi-sœur), fréquente les artistes de cabaret, le salon de Nina de Villard, haut lieu de plaisirs et de boisson, se laisse pousser une barbe qui deviendra légendaire et participe aux banquets des Vilains Bonshommes, qui se sont nommés ainsi en raison de leur allure négligée. En 1869 paraît un deuxième recueil, Fêtes galantes. Dense et bref (il comporte 22 poèmes), il possède une remarquable unité: placé sous le signe de Watteau et de Fragonard, il évoque un univers à la fois élégant, artificiel et raffiné. Dans un parc à la française passent, sous les grands arbres, dans les allées bordées de statues, auprès de bassins où murmurent des jets d'eau, des amants pris dans le temps de la fête: fête galante, où l'on fait la cour et l'amour dans un clair-obscur équivoque qui correspond à l'ambiguïté des sentiments. Sous la clarté lunaire, le vrai ne se distingue pas du faux, le masque – d'Arlequin, de Colombine, de tous les personnages de la commedia dell'arte – tient lieu de visage. Pourtant la fête tourne mal: la danse que mène Colombine est une danse macabre, et, dans le dernier poème, «Colloque sentimental», ce sont des fantômes de l'amour mort qui passent et notent avec indifférence que le souvenir même de l'amour est mort.

Mathilde, Rimbaud

Tombé fou amoureux de Mathilde Mauté de Fleurville, Verlaine la demande en mariage et compose en son honneur le recueil intitulé la Bonne Chanson. Poèmes de circonstance qui dessinent un itinéraire sentimental assez mièvre, encombré d'éloquence: à la poésie des deux recueils précédents se substitue un retour à une poésie qui dit, expose, explique. Le mariage a lieu alors que la guerre de 1870 vient d'éclater. Bientôt la Commune de Paris est proclamée; certes, Verlaine est communard, mais il tremble d'être arrêté et va se cacher à la campagne.

À son retour, il trouve une lettre timbrée de Charleville. Signée d'un nom totalement inconnu, Arthur Rimbaud, elle contient des poèmes qui retiennent son attention. Il invite le jeune homme, qui se révèle très vite étrange, développe des théories révolutionnaires, veut détruire le monde et changer la vie. Lu à un dîner des Vilains Bonshommes, le Bateau ivre stupéfie tout le monde. Fasciné et amoureux, Verlaine ne quitte plus Rimbaud. Il l'introduit dans le cercle «zutique», fondé par Charles Cros, ne rentre plus chez lui qu'à l'aube, complètement ivre, au point que Mathilde, enceinte, exige le départ de Rimbaud. Mais celui-ci est de retour en mai 1872, et, en juillet, les deux poètes s'enfuient en Belgique, puis en Angleterre. Traversée de scènes violentes, de tentatives de réconciliation, la fugue dure deux ans – au cours desquels Mathilde demande la séparation, et Mme Rimbaud lance la police aux trousses de son fils – et s'achève après le coup de revolver tiré sur Rimbaud par Verlaine. Condamné à deux ans de prison, celui-ci s'efforce alors à une double conversion, morale et mystique, dont les vers de Sagesse porteront témoignage. Mais le plus réussi des recueils de Verlaine, son chef-d'œuvre, est né de cette passion pour l'amant infernal: ce sont les Romances sans paroles , où tout est devenu musique.

«Sagesse» et décadence

Sagesse apparaît comme un point d'aboutissement de six années mouvementées et dures: deux ans de prison, deux ans et demi passés en Angleterre comme professeur, deux ans encore d'enseignement, cette fois en France, à Rethel, entre 1877 et 1879. Amoureux d'un de ses élèves, Lucien Létinois, Verlaine passe avec lui quelques mois en Angleterre. C'est à son retour qu'il fait paraître Sagesse, d'inspiration fortement chrétienne, mystique même: la part la plus originale de cette œuvre consiste en un dialogue entre l'homme et Dieu, entièrement consacré à l'Amour. Le livre est un échec: son auteur a trop mauvaise réputation, et la conversion paraît suspecte. Il faudra presque deux ans pour que Verlaine revienne un peu dans la vie littéraire: en collaborant à des revues comme Lutèce ou la Nouvelle Rive gauche, en se faisant de nouveaux amis, comme le poète Jean Moréas. Il vit alors avec sa mère, tente de retrouver un emploi, lorsqu'une nouvelle souffrance l'atteint: la mort de son jeune ami Lucien Létinois. Verlaine glisse alors de plus en plus dans l'alcoolisme et la débauche. Son étude sur trois «poètes maudits» – Mallarmé, Corbière, Rimbaud –, parue en 1883, connaît toutefois un grand succès. Mais Verlaine n'est plus créateur: publié en 1884, Jadis et Naguère, qui contient le fameux «Art poétique» («De la musique avant toute chose») à la gloire du vers impair, reçoit un accueil réticent. La composition des textes de ce recueil s'étale sur une quinzaine d'années: les plus anciens sont d'avant l'arrivée de Rimbaud à Paris, comme un écho sinistre des Fêtes galantes. La section médiane contient des textes de 1873-1874, notamment Crimen amoris, récit de l'aventure spirituelle avec Rimbaud, le mauvais ange de seize ans. La fin de Jadis et Naguère est beaucoup plus disparate.

De dérives en repentirs

Les années qui suivent sont parmi les plus noires qu'ait connues Verlaine, dans la misère et l'isolement. Il perd sa mère en janvier 1886. D'hôpitaux en hébergements provisoires, le poète traîne son arthrose et sa stérilité. Le seul texte marquant de cet «entracte noir absolument», comme il le dit lui-même, au cours duquel il est devenu clochard, est sa préface aux Illuminations de Rimbaud. Après deux années de dérive, il retrouve un peu de force: en 1888, Jules Lemaître, en écrivant un article intitulé «Un revenant», consacre cette résurrection. Mais l'embellie est brève: après l'échec d'une nouvelle passion homosexuelle, Verlaine retrouve l'hôpital. La publication d'un recueil très érotique, Parallèlement, qui succède à deux livres d'inspiration chrétienne, Amour et Bonheur, ne suffit pas à le remettre au premier plan. Pourtant, Barrès et le comte Robert de Montesquiou se font ses mécènes. Il écrit encore: des poèmes lascifs, voire obscènes, Chansons pour elle et Odes en son honneur; des souvenirs réalistes, Mes hôpitaux, Mes prisons; un texte chrétien très rhétorique, Liturgies intimes; enfin, Élégies, poèmes en l'honneur de la prostituée dont il partage la vie depuis quelque temps. Sa dernière activité consiste en conférences littéraires: en Hollande, fin 1892; en Belgique l'année suivante; en Angleterre enfin. La reconnaissance est tardive: en 1894, deux ans avant sa mort dans la misère, qu'il cherche à tromperpar l'alcool, et la détresse, il est sacré, enfin, Prince des poètes.

L'influence de Rimbaud

L'itinéraire poétique de Verlaine est autant travaillé par les contradictions que ses choix existentiels: un abîme sépare ses premiers recueils de tous ceux qui suivent la rupture avec Rimbaud. Car cette aventure apparaît bien comme la ligne de partage la plus décisive de sa vie: au jeune homme épris d'une cousine, puis d'une toute jeune fille qu'il rêvait d'épouser, elle a d'abord révélé son désir profond et le franchissement nécessaire de toutes les limites qu'un choix comme celui-là implique alors. Mais au moment même où, en fuite avec Rimbaud, Verlaine s'accomplit le plus parfaitement comme poète, et où il vit avec son compagnon un vagabondage qui le séduit vraiment, il cherche à sauver son mariage, supplie Mathilde, s'épouvante devant les conséquences de ses actes. Anticonformiste, il dissimule avoir été communard. Tenté par une vie rangée et laborieuse, il s'abandonne à toutes les facilités. Et ses blasphèmes sont presque contemporains de ses repentirs et de ses élans chrétiens.

Ruptures poétiques

De part et d'autre de la passion de Verlaine pour Rimbaud, sa poésie exhibe la violence des ruptures que l'inconnu de Charleville a provoquées; Rimbaud a obligé Verlaine à renoncer à l'héritage accepté du lyrisme romantique, à la nostalgie des temps heureux où l'amour devait être possible, où la femme était mère ou sœur en même temps qu'amante, à la douceur de la mémoire qui retient dans ses mailles des sensations délicates et recompose un tout petit monde-jardin où passent des oiseaux et une silhouette de femme aimée. Celui qui clamait la nécessité d'une pensée objective, contre la sentimentalité des romantiques, qu'il jugeait imbécile et complaisante, a arraché Verlaine à sa faiblesse, à ses gémissements, à son goût de la confidence: «fadasseries», disait-il à Verlaine, qui, à son écoute, a trouvé une voix et une parole authentiques. Elles sont faites d'une confusion intime et bouleversante entre le moi et le monde, qui se perdent l'un dans l'autre – dans la dernière des Ariettes oubliées par exemple: «Combien, ô voyageur, ce paysage blême/Te mira blême toi-même» –, d'une plongée dans la rêverie lumineuse comme une toile de Monet ou de Renoir, musicale comme une œuvre de Fauré ou de Debussy. Grêle, frêle, toujours sur le point d'atteindre le silence, la mélodie de Verlaine, dans ses plus beaux poèmes, est sans doute la plus haute réussite de la poésie musicale: à l'éloquence, il a préféré la chanson; à la réalité, la fluidité, le vague; l'indécis au précis; la nuance à la couleur; le moment de l'envol, celui de la partance, au point d'arrivée. Sa poésie, comme lui, se cache subtilement, selon le vers de Mallarmé: «Il est caché parmi l'herbe, Verlaine.»

(www.infopedi.com/poetes/pverlaine.htm)

Homosexualité

Dans la France des années 1870, l'amour entre hommes n'est pas punissable, mais il demeure sujet à railleries et honte sociale. Ainsi en témoigne la relation tumultueuse entre les poètes Paul Verlaine (1844-1896) et Arthur Rimbaud (1854-1891). Après avoir reçu quelques poèmes et une lettre du jeune prodige de Charleville, ébloui par le génie de son cadet, Verlaine invite Rimbaud à Paris. Il tombe aussitôt amoureux de l'adolescent et abandonne femme et enfants.

Sortant ensemble dans les théâtres parisiens, le couple sera vite l'objet de ragots. Ainsi, Jules Renard retiendra dans son journal la relation entre Verlaine et Rimbaud d'une drôle de façon en notant: "Est-ce que le fils de Verlaine ressemble à Rimbaud?" Dès 1872, les deux amants errent à travers l'Europe, entre Londres et Bruxelles. S'ensuit leur période de création la plus intense. Rimbaud laisse éclater sa passion pour son aîné: "Je suis à lui chaque fois / Si chante son coq gaulois". A noter que l'écrasante majorité des éditions ont délibérément ôté le caractère érotique de ce vers, en imprimant: "Salut à lui, chaque fois / Que chante le coq gaulois."Dans "Une saison en enfer", le seul texte publié par Rimbaud de son vivant, écrit juste après l'incident de Bruxelles pendant l'été 1873, où Verlaine, dans un moment d'ivresse, tire deux coups de feu sur son ami, Rimbaud relate les tumultes de leur relation. Verlaine est "l'époux infernal" et lui-même se représente sous les traits de "la vierge folle":

"Je vais où il va, il le faut. Et souvent il s'emporte contre moi, c'est un démon, vous savez, ce n'est pas un homme. Il dit: 'Je n'aime pas les femmes'. L'amour est à réinventer, on le sait (...) Nous nous accordions. Bien émus, nous travaillions ensemble. Mais après une pénétrante caresse, il disait: 'Comme ça te paraîtra drôle, quand je n'y serai plus, ce par quoi tu as passé. Quand tu n'auras plus mes bras sous ton cou, ni mon coeur pour l'y reposer, ni cette bouche sur tes yeux. Parce qu'il faudra que je m'en aille très loin un jour' (...) Un jour peut-être il disparaîtra merveilleusement; mais il faut que je sache, s'il doit remonter à un ciel, que je voie un peu l'assomption de mon petit ami. Drôle de ménage!"

Accusé par un Rimbaud désespéré, Verlaine sera condamné à deux ans de prison pour son acte de folie. Pendant son incarcération, il veut oublier son amant et se reconvertir à la religion de son enfance. Mais dès sa sortie de prison, il s'empresse de rejoindre Rimbaud à Stuttgart. Ce dernier relate ces retrouvailles dans une lettre à son ami Delahaye: "Verlaine est arrivé ici l'autre jour, un chapelet aux pinces. Trois heures après, on avait renié son Dieu et fait saigner les quatre-vingt dix-huit plaies de Jésus-Christ." Ce sera leur dernière entrevue avant l'exil définitif de Rimbaud en Abyssinie. C'est Verlaine qui publiera toute l'oeuvre de son ami et le fera passer à la postérité, au grand dam de la famille de Rimbaud, qui ne souhaitait pas voir diffusés les écrits sulfureux du poète.

Quelques remarques concernant la publication des oeuvres des deux auteurs s'imposent: l'édition des Oeuvres Complètes de Rimbaud dans la collection "Bouquins" (Robert Laffont, Paris, 1992), présentée par le professeur Louis Forestier de la Sorbonne, regorge de commentaires homophobes. Pour ne citer que cela, dans le lexique, sous "Vie sentimentale", il est écrit que Rimbaud n'a pas eu de vie sentimentale. Sous "Sexualité", Forestier est bien forcé d'admettre que certains poèmes "corroborent l'hypothèse" que la relation entre Verlaine et Rimbaud a revêtu un "caractère homosexuel". Il ose même: "les tenants de la liberté sexuelle lui prêtèrent généreusement de jeunes et moins jeunes amants", mais là on "verse dans l'anecdote racoleuse". Forestier revient vite vers les "données sûres": à passé 30 ans, il "vécut" avec une femme en Abyssinie pendant quelques mois, dont la seule trace écrite réside semble-t-il dans une lettre à un Monsieur Fanzoj de fin 1885: "Excusez-moi, mais j'ai renvoyé cette femme sans rémission. Je lui donnerai quelques thalers et elle partira s'embarquer par le boutre qui se trouve à Rasali pour Obock, où elle ira ou elle veut. J'ai eu assez de cette mascarade devant moi. Je n'aurais pas été assez bête pour l'apporter au Choa, je ne le serai pas assez pour me charger de l'y reporter. Bien à vous. Rimbaud." (p. 319)

A noter également que les "Oeuvres poétiques complètes" de Verlaine, parues dans la prestigieuse collection de la Pléïade, n'ont pas inclus le cycle intitulé "Hombres". Des poèmes qui sont, selon Dominique Fernandez, "d'un érotisme flamboyant et qui comptent parmi les plus beaux textes homosexuels jamais écrits en langue française." Le même sort a été réservé au fameux "Sonnet du trou du cul", écrit ensemble par Verlaine et Rimbaud, qu'on ne retrouve dans aucune édition des "oeuvres complètes" des auteurs. 

http://www.lambda-education.ch/Ressources/Histoire/histchap4.htm

Homosexualité 2

Deux manuscrits inédits en vente évoquent sa naissance et ses relations avec Verlaine

(mai 2004, le figaro)

«Depuis un an, j'habite Londres avec le sieur Verlaine. Nous faisions des correspondances pour les journaux et donnions des leçons de français. Sa société était devenue impossible, et j'avais manifesté le désir de retourner à Paris. Il y a quatre jours, il m'a quitté pour venir à Bruxelles et m'a envoyé un télégramme pour venir le rejoindre. Je suis arrivé depuis deux jours (...) Ce matin, il est allé acheter un revolver au passage des Galeries Saint-Hubert (...) Rentrés au logement vers deux heures, il a fermé la porte à clef, s'est assis devant ; puis, armant son revolver, il en a tiré deux coups en disant : «Tiens ! Je t'apprendrai à vouloir partir !» Ainsi parla Rimbaud au commissaire de police, le 10 juillet 1873, donnant une première version, froide, du «drame de Bruxelles» qui fit condamner Verlaine à deux ans de prison (1).
«Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,/De beaux démons, des Satans adolescents/Au son d'une musique mahométane/Font litière aux sept péchés de leurs cinq sens/(...) Or le plus beau d'entre tous ces mauvais anges/Avait seize ans sous sa couronne de fleurs. Croisant ses bras sur ses colliers et ses franges/Il songeait, l'oeil plein de flammes et de pleurs...» lui répondit Verlaine l'impressionniste dans Crimen Amoris, l'un des cinq «poèmes diaboliques» écrits en prison à Bruxelles (manuscrit autographe de la première des deux versions de ce long poème de quatre-vingts vers de Jadis et naguère, estimé 5 000/6 000 €). Cet adieu du poète «malheureux et désespéré» par son «moment de folie» inspirera Picasso pour son mystérieux Garçon à la pipe, désormais le tableau le plus cher du monde (nos éditions du 7 mai).
Il fait partie d'un fonds Verlaine, provenant de son infortunée épouse Mathilde Mauté (une dizaine de lots), qui fait battre le sang aux tempes des érudits, notamment des rimbaldiens qui savent y lire mille traces (2). André Vial eut accès, dans les années 60, à ce fonds de très directe provenance et en avait tiré un ouvrage, Verlaine et les siens (Nizet, 1975). Il y étudia la liste des vingt poèmes de Rimbaud, probablement établie par Verlaine pour une édition des poésies de son compagnon qui n'a jamais pu paraître, indiquant pour chacun le nombre de vers prévus : «Les chercheuses de pous... 20/L'homme juste... 75/Les voyelles... 14/Oraison du soir... 14» (grand feuillet autographe estimé 10 000/ 12 000 €).
L'érudit ne vit pas le manuscrit du poème de Rimbaud, Mémoire, qui fait la couverture du catalogue Tajan et qui passionne les chercheurs par les hypothèses littéraires qu'il soulève (D'Edgar Poe, famille maudite, un titre lu comme une filiation littéraire jusque-là pressentie, quarante vers d'une belle écriture descendante, estimé 80 000/100 000 €). «Que font dans les archives de la famille de Verlaine, durement meurtrie par le scandale de Bruxelles, toutes ces traces rimbaldiennes, notamment son plus beau poème ?», s'interroge André Guyaux, professeur de littérature française du XIXe siècle à la Sorbonne-Paris-IV et éditeur de la future Pléiade sur Rimbaud.
«Traditionnellement, on date ce poème de 1872, soit parmi «les derniers vers» du futur prosateur d'Une saison en enfer en 1873 (3) et des Illuminations en 1874 (4). Sa forme connue fait disparaître les majuscules en début de vers, permettant à ses alexandrins et ses quatrains, notamment par la technique de l'enjambement, de mimer la prose. Cette version inédite, retrouvée dans les papiers de Verlaine, conserve la majuscule de début de vers. Ne contribue-t-elle pas à modifier la date de ce poème et à pousser vers l'hypothèse de 1873», explique l'exégète.

Second indice ? La transcription, de la main de Rimbaud, d'un autre des cinq «poèmes diaboliques» sans doute écrits en prison par Verlaine en 1873, qui pourrait éclairer les relations entre les deux hommes et la collaboration littéraire entre les deux poètes. Ce Dom Juan pipé, manuscrit allographe d'un poème de Jadis et naguère, long de 140 vers, riche de nombreuses variantes avec le texte imprimé en 1884, est l'une des trois transcriptions connues d'un poème de Verlaine par Rimbaud (quatre pages réattribuées in extremis à Rimbaud et donc réévaluées par l'expert Alain Nicolas autour de 50 000/60 000 €). Une première se trouve à la Bibliothèque Doucet. La seconde fut vendue lors de la prestigieuse dispersion du marquis Dubourg de Bozas, héritier de Gustave Chaix d'Est-Ange, l'avocat de Baudelaire qui défendit Les Fleurs du mal contre les censeurs.
«Pourquoi Rimbaud a-t-il retranscrit les poèmes de Verlaine ? Et surtout quand ? On peut penser que ce poème-ci, comme d'autres attribués à un Verlaine incroyablement prolifique en prison, date de l'hiver 1873», souligne André Guyaux. Verlaine lut en cellule un exemplaire d'Une saison en enfer. Certains évoquent une visite de Rimbaud, sans aucune certitude.
D'autres une correspondance disparue témoignant de cette époque au silence symbolique. Chaque nouvelle trace approche le mystère des poètes, et l'épaissit encore.

(1) Volume édité par Antoine Adam pour La Pléiade, Gallimard, 1972.
(2) Vente par Tajan SVV et leur expert Alain Nicolas, le libraire des Neuf Muses, le 25 mai à Drouot.
(3) La BNF préempta à 2,9 MF, à la vente Guérin chez Me Tajan le 17 novembre 1998, le seul brouillon connu d'Une saison en enfer.

(4) L'expert Mme Vidal-Mégret vendit autour de 11,5 MF le manuscrit des Illuminations dans les années 50 (préempté par la BN). Depuis, la BNF a préempté à 3,3 MF la Lettre du voyant en mars 1998 à la vente Jean Hugues (Me Renaud).

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