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Michel Tournier

Né à Paris en 1924

Ecrivain

Parcours

Ecrivain français né le 19 Décembre 1924 à  Paris, Michel Tournier est l'auteur de plusieurs romans auxquels s'ajoutent des recueils de nouvelles, de contes, des essais et une autobiographie.

Germaniste et philosophe de formation, il est fortement marqué par les études d'ethnologie auprès de Claude Lévi-Strauss au Musée de l'homme. D'abord traducteur puis journaliste à  Europe 1, il est chef des services littéraires aux éditions Plon de 1958 à  1968. Chargé de l'émission télévisée : "Chambre noire", il fonde en 1968 les Rencontres internationales de la photographie, en Arles, avec Lucien Clergue.

C'est en 1967 qu'il publie son premier roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique, réécriture de Robinson Crusoë de Defoe, puis en 1970, Le Roi des Aulnes qui évoque l'Allemagne nazie. Suivent Les Météores (1975), roman de la gémellité, Le Vent Paraclet (1977), autobiographie intellectuelle, Le Coq de bruyère (1978), recueil de nouvelles, Gaspard, Melchior et Balthazar (1980), consacré aux rois mages, Le Vol du Vampire (1981) notes de lecture. Gilles et Jeanne (1983) est une interprétation personnelle du destin de Gilles de Rais et Jeanne d'Arc, La Goutte d'or (1985), un roman sur l'image et l'immigration, Le Médianoche amoureux (1985), un recueil de contes et de nouvelles à  la manière du Décaméron. à‰léazar ou la source et le buisson (1996) est un western métaphysique évoquant en filigrane la figure de Moïse. Célébrations (1999) est un recueil de brefs essais sur la nature, les lieux chers, les saints, les gens célèbres et les amis disparus.

Tournier réécrit ses propres textes avec Vendredi ou la vie sauvage (1971) et Les Rois mages (1983), et donne, dans la collection folio junior, La Couleuvrine (1994). Il consigne ses réflexions sur la peinture dans Le Tabor ou le Sinaï (1988), sur la photographie, dans Des Clés et des Serrures (1979), Vue de dos (1981). Petites proses (1986) réunit des textes parus dans Des Clés et des Serrures et le Vagabond immobile (recueil de réflexions parus en 1984). Le Pied de la lettre en 1994 porte sur l'étymologie, Le Miroir des Idées est un traité de quelques concepts clés.

L'oeuvre de Michel Tournier, à  la fois réaliste et fantastique, réactualise dans le monde contemporain les mythes de l'ogre, des jumeaux, du double, de l'androgyne, qui lui permettent de déchiffrer le monde réel complexe et confus. Il faut souligner l'aspect souvent ludique de cette oeuvre au second degré qui reprend en les inversant les hypotextes qu'elle renouvelle.

Les thèmes de prédilection sont : le voyage initiatique, la réécriture de légendes (comme celle du Petit Poucet, du quatrième roi mage, du Père Noël, de "l'Aigle du Casque" de Victor Hugo qu'il détourne et interprète librement), la nourriture et les repas, l'enfant salvateur, la fusion avec les éléments rendus à  leur dimension sacrée, la lutte contre l'angoisse du temps et de l'espace.

Michel Tournier qui vit dans la Vallée de Chevreuse partage son temps entre l'écriture - il est un sédentaire, un homme-jardin et les voyages (il affectionne l'Allemagne mais aussi le Maghreb et des lieux d'enfance : en Bretagne, Saint Jacut de la Mer et en Bourgogne : Lusigny-en-Ouche). C'est un conteur qui aime dialoguer avec ses lecteurs dans les écoles ou qui les accueille dans son presbytère.

Les récompenses littéraires concernant son oeuvre : le grand prix de l'Académie française pour vendredi ou les limbes du Pacifique (en 1967), le prix Goncourt à  l'unanimité pour le roi des Aulnes (en 1970), le prix Goethe (en 1992).

(buweb.univ-angers.fr/EXTRANET/MichelTOURNIER/MTNoticeSur.html )

Interview récente

Mitterrand, l'Allemagne, Deleuze, le Goncourt, la vieillesse, et le reste...

« Proust m'ennuie ! », « J'aurais eu envie de ressembler à Jean Gabin... », « Mourir, c'est retrouver l'état qui précédait ma naissance ». Voilà quelques-unes des déclarations de l'un de nos plus grands écrivains, auquel nous avons rendu visite dans son presbytère de la vallée de Chevreuse. A 79 ans, Michel Tournier a décidé de ne plus vieillir

Propos recueillis par Jean-Paul Enthoven (le Point)

Ce jour-là, malgré le froid, il ne porte pas son bonnet à la Sainte-Beuve. Allure robuste, oeil malicieux, il accueille son visiteur comme on s'acquitte d'une routine. Allons, vite, un tour de jardin, des considérations sur l'hiver, sur les couvreurs qui réparent un toit de l'autre côté de la route, sur les crocus jaunes qui percent déjà. Michel Tournier connaît le rituel du Grand-Ecrivain-français-qui-reçoit : voici mon repaire, voici ma solitude, voici mon presbytère, c'est ici que j'ai vécu et que je mourrai, tout près du cimetière qui longe mon jardin de curé...

A 79 ans, l'auteur du « Roi des Aulnes » et du « Vent Paraclet » ressemble sans effort à l'image qu'il laissera de lui-même : un fiévreux tout en retenue, un terrien bien planté, un gisement de dictées et d'explications de textes, un modeste qui n'ignore rien de son importance :

« Dans ce jardin de curé, j'ai tout de même reçu deux présidents... »

Deux ? C'est un piège. Pour Mitterrand, bien sûr, on savait. Le fameux déjeuner qui fit tant jaser, à l'époque où Tournier était nobélisable. Mitterrand était venu en hélicoptère, après un conseil des ministres, avec toute une cour chapeautée par Erik Orsenna, et Tournier avait dû acheter de la vaisselle au bazar de Choisel. Mais le second ? Chirac ? Pas possible. Poutine ? Mais non, c'est Druon qui a reçu Poutine. Alors, qui ? Tournier est sûr de son effet :

« Eh bien, c'était Lothar de Maizière... »

Devant l'hésitation du visiteur, il rappelle que Lothar de Maizière fut le très bref président de l'Allemagne de l'Est entre la chute d'Erich Honecker et la réunification. En fait, cette anecdote lui permet aussitôt d'en placer une autre qui, paraît-il, amusait beaucoup Mitterrand : c'est l'histoire d'un journaliste qui, au plus fort de la glaciation communiste, demande à un Allemand de l'Est ce qu'il pense de Honecker. L'homme hésite, baisse la voix, entraîne le journaliste à l'écart, le fait monter sur une barque, rame jusqu'au milieu d'un lac, et après s'être assuré qu'il n'y a pas de micro, lui murmure : « Honecker ? Je l'aime bien... » Mitterrand, vraiment, avait adoré. Il avait même pris l'habitude de raconter l'histoire à tous les fâcheux qui lui parlaient des mauvais sondages. L'anecdote, en tout cas, prend deux à trois minutes, le temps d'entrer dans la vaste pièce qui ouvre sur le jardin. On sent, chez le Grand-Ecrivain, une maîtrise sans faille des intermèdes. Soudain, passant au deuxième acte du rituel, il s'installe devant une table recouverte de livres. La pièce est sobre. Un téléviseur, quelques coussins, des photographies, la statue d'un saint en bois - une « phorie », précise-t-il... -, des paquets de bonbons et de pâtes de fruits. A cet instant, Michel Tournier affiche un sourire d'ogre débonnaire.

« Avec Mitterrand, on ne pouvait parler que de littérature et de l'Allemagne de l'Est... Il faut dire que, contrairement à moi, Mitterrand aimait l'Allemagne de l'Est, un peu comme Mauriac, qui aimait tellement l'Allemagne qu'il lui en fallait au moins deux... Or, moi, je savais que la RDA était un abominable Etat policier, fondé sur la délation et l'espionnage, et je ne me privais pas de le lui rappeler... »

En ce temps-là, Tournier avait pourtant la réputation d'être un « ami » de la RDA. N'était-il pas membre de l'Académie des arts de Berlin-Est ? Et n'avait-il pas le projet d'écrire un grand roman sur cette « gymnocratie » communiste ?

« Oui, en effet, ce roman devait s'intituler "Eva ou la République des corps"... Mais ce livre, auquel j'ai finalement renoncé, était une critique féroce de la RDA et de l'exploitation des corps dont cet Etat s'était fait un principe... Or Mitterrand n'appréciait guère mes réserves à l'endroit de la RDA. N'oubliez pas qu'il recevait volontiers Honecker et se rendait encore à Berlin-Est trois mois seulement avant la chute du Mur... »

A propos de cette « gymnocratie », on évoque, bien sûr, « Le triomphe de la volonté ». Tournier, romancier-photographe, aurait-il son petit côté Leni Riefenstahl ?

« Ah, je ne serais pas contre ! Sur le fond, cette femme n'était pas aussi coupable qu'on l'a prétendu. Elle célébrait la beauté des corps, de tous les corps et, vers la fin, surtout des corps noirs... A 90 ans, elle était magnifique et courait le monde... C'est une assez belle leçon de vie, et d'énergie, surtout lorsqu'on s'avance soi-même vers le grand âge... »

Le grand âge ? Tournier semble plutôt serein. Dans la nouvelle édition de son « Journal extime » (Folio), il a même ajouté un épilogue étrange et beau sur « les bouffées d'euphorie » qui submergent l'homme qui vieillit. Le temps et l'espace desserrent alors leurs mâchoires ; il se sent « libéré de l'existence » et s'épanouit « comme une bulle dans le néant avant de disparaître en éclatant de rire ». Un stoïcisme hédoniste, en quelque sorte...

« Physiquement, je me sens bien, mais je suis affaibli... Bon, ça n'est pas trop grave, surtout si je me compare à ce que Nourissier - qui a trois ans de moins que moi ! - a écrit sur son propre état. En vérité, le grand âge, ce n'est pas seulement le corps qui trahit ou lâche. C'est d'abord la solitude qui croît. Les amis qui disparaissent... »

Sur ce chapitre, Tournier trouve naturellement des accents touchants. Il évoque son jeune frère, les joyeuses bandes de sa jeunesse, les copains qui l'ont quitté. Il évoque surtout le premier d'entre eux, Gilles Deleuze, le philosophe qu'il aimait plus que quiconque...

« Gilles était plus qu'un frère... C'était un frère choisi, très tôt, quand je faisais ma classe de philosophie avec Maurice de Gandillac... J'avais, scolairement, un an d'avance, mais son génie éclaboussait déjà tout le monde ! En 1949, à mon retour de Tübingen, je me suis installé à l'hôtel de la Paix, dans l'île Saint-Louis, et Gilles m'y a rejoint. C'était un endroit sordide, mais on voyait la Seine... Là, pendant des années, j'ai littéralement porté Gilles à bout de bras ! C'était un génie absolument inapte aux tâches matérielles, j'étais donc devenu son esclave. Je lui ai présenté sa femme, Fanny, et c'est elle qui m'a, si l'on peut dire, libéré de ma condition d'esclave en prenant ma place... Cet homme me manque absolument. Je n'ai jamais ressenti, comme devant lui, la puissance d'une pensée. Et, aujourd'hui encore, quand je me souviens de lui, de ses ongles et de ses cheveux qu'il ne se résignait pas à couper, de son charme disparu, je me dis que c'est bien cela, l'âge ou le temps qui passe : avoir connu des êtres chers et puis, soudain, en être privé... »

A travers Deleuze, bien sûr, Tournier revisite volontiers ses saisons d'apprenti philosophe. Il était kantien, dit-il. Pas hégélien. Beaucoup de Leibniz, un peu de Schelling et de Spinoza. Son obsession d'alors ? Devenir professeur de philosophie. Et puis il y a eu ce traumatisme d'apparence dérisoire - son échec à l'agrégation - dont il ne s'est jamais remis, et qui a décidé de tout. Puisqu'il ne serait pas professeur de philosophie, tout semblait équivalent. Il devint ainsi radio-reporter à l'ORTF, puis à Europe 1. A partir de là, il se fabrique une drôle d'exigence : rester fidèle à la philosophie en jachère dans son jardin secret tout en s'adressant à cette multitude dont il a apprécié le charme pendant ses saisons de journaliste. Combiner les concepts et les histoires simples. Les raisonnements et les contes. Il cherche, il trouve : cela s'appelle le roman. Mais un roman d'un type particulier, car Tournier n'aime ni l'aveu ni la confidence : il préfère, d'emblée, « fabriquer des manteaux d'images posés sur une charpente métaphysique ». Et c'est en « contrebandier de la philosophie » qu'il décide d'écrire ses premiers livres...

« Ce qui me plaît, dans le roman ou la nouvelle, c'est de mêler les fables et les idées. Prenez, par exemple, "Pierrot ou les secrets de la nuit" : c'est, très exactement, un résumé de l'"Ethique" de Spinoza - avec ce Pierrot blanc et monotone comme la "substance" ; avec cet Arlequin rieur et divers comme l'"accident"... Prenez une autre nouvelle, "Amandine ou les deux jardins" : ça n'est rien d'autre qu'une adaptation romanesque du mythe platonicien de la Caverne... Voilà, c'est ça qui m'amuse : expliquer des choses compliquées à des enfants de 10 ans qui comprendront et s'y laisseront prendre... »

A cet instant, dans la grande pièce du presbytère où décline un soleil d'hiver, et devant cet écrivain-photographe qui bâtit des fables métaphysiques pour enfants, passe discrètement le fantôme de Lewis Carroll. Tournier, on s'en serait douté, l'admire beaucoup. Il ajoute tristement, et sans vouloir s'y attarder, que le pauvre Lewis Carroll, aujourd'hui, passerait pour un pédophile et aurait bien des ennuis avec la police.... D'ailleurs, « l'ordre moral » ambiant l'inquiète :

« Croyez-vous qu'un cinéaste, aujourd'hui, pourrait tourner "Le kid" de Chaplin sans être suspecté de toutes les turpitudes ? Allons... »

Le Grand-Ecrivain s'emporte contre l'époque hypocrite. Il parle avec véhémence des ravages du « politiquement correct », de l'angélisme suspect qui impose sa loi...

« Vous savez, sous l'Ancien Régime, l'enfant était culturellement à peine distinct d'un animal qu'il convenait, à tous les sens, de reprogrammer avec des moeurs - donc de "morigéner". C'est la Révolution de 1789 - disons de Jean-Jacques Rousseau à Victor Hugo - qui en a fait le mythe inverse : l'enfant, qui était une bête, est donc devenu un ange (de pureté, etc.). Mais ne pourrait-on pas, sur ces choses-là, relire un peu Baudelaire et, surtout, Freud ? »

Malgré cette invocation de Freud, Tournier ne peut dissimuler son aversion pour la psychologie, l'affect, le sentimental, le « promiscu » (il voudrait bien imposer ce mot, disponible en anglais, promiscuous, et par lui forgé à partir de « promiscuité »). C'est, notons-le, le dernier mot de son « Journal extime ».

« Cette aversion du "je" me vient sans doute de Deleuze et de sa métaphysique spinoziste... Je préfère les métaphores spatiales (dedans, dehors, haut, bas...), et non les métaphores morales (moi, l'autre, le bien, le mal) ... On ne m'ôtera pas de l'idée que l'universalité à laquelle tout romancier aspire se trouve plus du côté de l'extime que de l'intime... »

Bien sûr, ça se discute. Et le Grand-Ecrivain aime bien discuter. Il a pourtant fabriqué son système et il s'y tient. C'est cohérent. De loin, cela ressemble à une muraille dressée entre lui et le monde. Seul un psychanalyste, ou un confesseur, pourrait percer cette machinerie de mise à distance et les raisons qui ont présidé à sa confection.

« Vous savez, je n'apprécie guère l'image qu'on a de moi. J'en suis pourtant responsable - mais c'est ainsi. Et puis je fais un peu de provocation... En vérité, j'aurais aimé être un écrivain politiquement correct, mais je n'y suis jamais parvenu ! J'aurais eu envie de ressembler à un type comme Jean Gabin, solide, simple, franc comme du bon pain. C'est raté... Il ne me reste plus qu'à revendiquer le maximum de lumière pour mes livres et le maximum d'obscurité pour moi. Un écrivain, un vrai, ne devrait pas être reconnu dans la rue... Plus on est vu, moins on voit... J'aime l'idée de la mort parce que j'imagine que c'est un état où, enfin, on voit tout sans être vu ! »

La mort ? Le néant ? Pour un spinoziste, ça ne veut pas dire grand-chose. Tournier, lui, a tout de même son idée sur la question :

« Mourir, pour moi, c'est retrouver l'état qui précédait ma naissance. Je ne devais pas être rien puisque je suis devenu quelque chose. Eh bien, en mourant, je ferai probablement le chemin inverse ! Bien sûr, le judéo-christianisme, qui m'a biographiquement déterminé, n'est pas propice à cette vision des choses. Il faudrait plutôt aller chercher du côté des sagesses orientales. Mais on ne s'improvise pas autre que ce qu'on a été. En tout cas, je ne sais pas si j'ai la foi, mais je sais que je suis une substance... »

Curieusement, cette brève excursion du côté de la mort renvoie Tournier vers des souvenirs d'enfance. Il évoque alors sa jeunesse en Allemagne, ses amis massacrés, sa haine spontanée du nazisme, sa perception immédiate, dès l'avant-guerre, de l'horreur hitlérienne. Après la Shoah, il s'est pourtant persuadé que l'allemand, c'était aussi, et malgré tout, la langue de Goethe et de Kant. Ce ne fut pas facile. On sent qu'une douleur infinie, en provenance de ces années-là, l'a constitué à jamais.

Sur le reste des affaires du monde, il s'aventure avec prudence. On l'interroge sur l'islam ? Il répond par un éloge de la calligraphie. Sur la guerre d'Irak ? Il est très sévère pour les Américains. Sur le voile à l'école ? Il ne comprend pas tout ce tintamarre - et pourtant, il en a visité, des écoles ! C'est même une de ses principales activités depuis que « Vendredi » ou « Le roi des Aulnes » sont devenus des classiques.

« Cette loi, si j'avais été député, je ne l'aurais pas votée... Et maintenant qu'elle est votée, que va-t-on faire ? Envoyer la police pour la faire respecter ? Ça promet... »

Ce qui frappe, chez cet homme, c'est l'ensemble des certitudes dont il se protège. Aucun état d'âme. Aucune affinité avec la mélancolie. Il taille son chemin. Il avance. Il fait des livres et donne des conférences comme on scie du bois. A propos de ses livres, ce dégagement, tout de même, qui surprend :

« Moi, j'ai toujours choisi de grands sujets parce que je ne me prête qu'un petit talent ! Si j'avais un immense talent, j'aurais pu, par exemple, écrire des romans sans intrigue, ni sujet...

- Vous pensez à Proust ?

- Ah, non ! Proust m'ennuie ! Ses phrases m'ennuient ! Sa sociologie m'ennuie ! Les univers fermés me fascinent et m'asphyxient. Le Thomas Mann de "La montagne magique" ou le Saint-Simon de Versailles me fascinent. Le faubourg Saint-Germain de Proust me désespère...

Serait-ce une indication sur le type de littérature qu'il défend lors des réunions de l'académie Goncourt ?

« Ah, j'essaie d'être objectif, voilà tout ! En trente-cinq ans, je n'ai "fait" que deux Goncourt : "L'amant", de Marguerite Duras, et "Rouge Brésil", de Rufin... Le reste du temps, je me rallie à une minorité....

Le plus souvent, je ne défends pas "un" type de littérature. Et je m'efforce d'être sérieux et honnête. L'académie Goncourt, c'est une bande de copains qui ne peuvent pas s'ignorer comme les académiciens du quai Conti. On déjeune ensemble, on se balance des vannes... Le drame, c'est que, désormais, les éditeurs s'en mêlent... A l'origine, en 1903, le Goncourt ne faisait pas vendre, mais il rapportait de l'argent - en gros, deux ans de sécurité - à son lauréat. Avec l'inflation, sa dotation est devenue dérisoire, mais le prix fait beaucoup vendre, donc il rapporte de l'argent aux éditeurs - qui ont tendance, du coup, à s'en occuper de trop près. En ce qui me concerne, ma règle est de ne jamais voter pour l'éditeur qui me publie - sauf cas très rare d'un livre qui s'impose absolument. Regardez mes votes depuis trente-cinq ans, et vous verrez bien que je dis vrai...

Un visiteur frappe à sa porte. Notre rencontre s'achève. Le Grand-Ecrivain a encore le temps de me dire que, chaque année, il recommande à l'académie de Stockholm de donner son prix Nobel à Julien Gracq - « Vous avez de ses nouvelles ? Il ne doit plus être tout jeune... » ; de me préciser que « Le roi des Aulnes » devait, au départ, s'appeler « La phorie », comme la statue de son saint ; d'évoquer une de ses grand-mères juive dont il avait pensé prendre le nom comme pseudonyme ; de saluer les couvreurs qui ont fini leur journée de travail ; de me confier, à l'instant où je prends congé, qu'Ingrid Bergman fut jadis sa voisine à Choisel...

Une ultime requête, tout de même :

« J'aimerais relire les propos que vous me prêterez.... »

Le Grand-Ecrivain est prudent. Surtout depuis que Newsweek lui a mis en bouche, voilà quelques années, des affirmations qui lui ont valu toutes sortes d'ennuis avec des journalistes trop pressés de lui faire des reproches...

C'est promis : il se relira

Homosexualité

Rien pour le moment.

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