Commentaire
initial
Impossible
de dissocier la vie de l'un et celle de l'autre. Rimbaud
a marqué la vie et l'écriture de Verlaine
comme personne d'autre alors que leur liaison n'aura duré
que 2 ans à peine. Voici donc sur une page la vie
de Rimbaud, celle de Verlaine (notamment ses autres passions
homosexuelles) et à la fin, une rubrique spéciale
sur la liaison entre les deux hommes.
Parcours
de Rimbaud
Poète
maudit qui, ayant tout écrit avant l'âge de
vingt ans, devient trafiquant d'armes et meurt à
trente-sept ans, Rimbaud a été considéré
alternativement comme un voyou, un voyant, un vagabond,
un escroc, un pervers, un prophète, comme un frère
en marginalité de ceux qu'attire l'expérience
des limites – drogues, amours interdites, musiques dangereuses
– où est la «vraie vie», puisqu'elle est
«ailleurs». Il laisse un texte fait de fragments
épars, encore difficilement appréciable dans
les cadres habituels de l'histoire littéraire.
Le
seul texte que Rimbaud ait cherché à faire
publier est un bref recueil de neuf poèmes en prose,
Une saison en enfer . Ce sont des volontés étrangères,
souvent après sa mort, qui ont réuni les Poésies
et les lluminations. Mais c'est peut-être parce qu'il
ne s'est pas soucié de sa carrière et parce
qu'il avait pris la poésie pour une manière
irréductible d'être au monde qu'il est devenu
le phare de milliers de jeunes gens.
Errance
et révolte
Le
10 mai 1876, Rimbaud signe un engagement dans l'armée
coloniale hollandaise. Né en 1854 (à Charleville,
dans les Ardennes), il a vingt-deux ans. En apparence l'aventure
commence: même s'il déserte dès le mois
d'août, même si plusieurs de ses aventures sont
avortées (faux départ pour Alexandrie, en
1877, faux départ pour l'Orient, en 1879), de l'Allemagne
à l'Égypte, de Chypre à la mer Rouge,
jusqu'à Harar, en Éthiopie, les voyages auront
duré quinze ans. Ils s'achèvent le 10 novembre
1891 à Marseille, où Rimbaud meurt quelques
mois après avoir été amputé
d'une jambe en raison d'une tumeur au genou.
En
réalité, ce 10 mai 1876 met un terme à
tout ce qui compte dans cette vie, c'est-à-dire l'œuvre.
L'errance vraie, les dérives et les délires,
l'exploration des frontières et des gouffres, c'était
entre Charleville et Paris, avec quelques fugues, entre
Londres et Bruxelles, dans la vieille Europe «aux anciens
parapets» (le Bateau ivre), dans la poésie surtout,
la seule affaire de sa vie. Après, il n'y a plus
que des lettres, de pauvres comptes rendus de ses activités
de marchand, des rêves mesquins de «réussite»,
des mots pour dire la souffrance physique. Sa poésie
s'était construite sur la liquidation des héritages,
sur la destruction rageuse du romantisme fade et du lyrisme
niais. Sa vie de trafiquant tire un trait sur l'exotisme
de pacotille, le pittoresque truqué, le mensonge
des ailleurs. Qu'il l'ait voulu ou non, su ou ignoré,
Rimbaud est un liquidateur. Et d'abord de son œuvre, de
lui-même: ces quinze années de «trimbalage»
valent par la lumière noire dont elles illuminent
tout le reste. À tant d'adieux lancés dans
les textes, à tant de défis, à tant
d'arrachements rêvés – à l'ordre occidental,
à sa culture, à ses «belles-lettres»
– répondent un adieu véritable, un défi
dangereux, un arrachement finalement mortel. Rimbaud a craché
sa haine, ses révoltes – contre l'ordre établi,
le milieu familial, les convenances, Napoléon III,
le catholicisme; il a hurlé sa différence;
il a écrit. Et puis il est parti. Ses vraies raisons
– que d'ailleurs personne ne connaît – n'ont aucune
importance. Que son épopée africaine soit
pure dérision non plus. Ce qui compte et le distingue,
c'est la cassure, le refus de la carrière d'écrivain
et jusqu'à la volonté d'effacer la mémoire
de la trace poétique: «Je ne m'occupe plus de
ça», disait-il, dédaigneux, en parlant
de la poésie et de son œuvre, qu'il considérait
comme «des rinçures».
Un
poète de seize ans
L'histoire
de celui qui s'est «opéré vivant de la
poésie» (Mallarmé) a commencé
comme celle de tant d'adolescents de province qui écrivent
des vers. Sous les yeux froids de la «mère Rimbe»,
obstinément là, Rimbaud subit l'ennui d'une
petite ville des Ardennes, avec ses rituels conformistes,
ses pesanteurs mesquines, dont celles de l'institution scolaire.
Il est cependant un bon élève, qui obtient
le prix de vers latins. Son père est rarement présent,
puis complètement absent: officier, avec le goût
du risque et la passion de l'écriture – mais son
œuvre a sombré comme lui –, Frédéric
Rimbaud disparaît quand son fils n'a que dix ans.
Le
«Recueil Demeny»
Six
ans plus tard, Rimbaud rencontre Georges Izambard, un jeune
professeur de vingt-deux ans. Amitié décisive:
Rimbaud lui montre les vers qu'il a déjà écrits,
et où transparaît le modèle parnassien
(néoromantisme, avec un grand souci de la forme parfaite,
au nom de l'art pur). Quand éclate la guerre de 1870,
il semble que Rimbaud l'ait d'abord perçue comme
ce qui allait l'enfermer à Charleville: d'où
une première fugue, manquée (l'errance est
un apprentissage), suivie d'une deuxième, en octobre.
Réfugié chez Izambard, Rimbaud rencontre Paul
Demeny, poète lui aussi: pour lui, il recopie l'ensemble
de ce qu'il a écrit jusqu'alors. Ce «Recueil
Demeny», composé de deux cahiers, est le seul
recueil poétique que Rimbaud ait conçu: il
comporte des textes anciens(Soleil et Chair, le Forgeron,
les Effarés, Sensation), et d'autres tout neufs (ceux
qu'il a composés pendant la seconde fugue). Ce sont:
Au Cabaret Vert, la Maline, Ma bohème, le Dormeur
du val. L'échappée a été brève:
après une remise aux mains de la police, il faut
réintégrer Charleville, glacée et marquée
par la guerre.
«Le
Cœur volé»
La
poésie de cet adolescent est encore pleine de réminiscences
livresques, voire de pastiches (Baudelaire, Hugo, Théodore
de Banville), et très sage malgré quelques
audaces: de nouveaux mots, auxquels Rimbaud donne droit
de cité en poésie, des images inattendues.
Un esprit de dérision destructrice transparaît
dans un ensemble encore consciencieux, en dépit de
la fantaisie du bohémien. Un an plus tard, tout change:
en février et en avril 1871, Rimbaud, qui vient de
composer un long poème, le Bateau ivre , est à
Paris. Il s'enthousiasme pour la Commune et s'indigne de
la répression. Un poème, le Cœur volé,
serait peut-être le récit d'un épisode
dramatique. S'agit-il de violences qu'auraient fait subir
des soldats au jeune révolté? d'une participation
de celui-ci à des combats précédant
la Semaine sanglante (21-28 mai 1871) qui met fin à
la Commune de Paris?
«JE
est un autre»
De
retour à Charleville, Rimbaud y écrit deux
lettres capitales: la première, le 13 mai, à
Izambard, où il met violemment en accusation ceux
qui mangent au «râtelier universitaire»
et qui se contentent de la «poésie subjective»,
«horriblement fadasse». En même temps, il
annonce son programme: «Maintenant, je m'encrapule
le plus possible. Pourquoi? Je veux être poète,
et je travaille à me rendre voyant [...]. Il s'agit
d'arriver à l'inconnu par le dérèglement
de tous les sens. [...] C'est faux de dire: Je pense. On
devrait dire: On me pense.» Ces quelques formules d'un
garçon de dix-sept ans sont parmi les plus célèbres
de la littérature française. Pour autant,
l'art poétique qu'elles suggèrent n'est pas
simple: le refus de la poésie subjective consiste
non seulement en celui de la poésie sentimentale,
lyrique, romantique «à la Musset», que
Rimbaud abhorre parce qu'elle enferme l'homme dans des conventions
vides; il est, plus encore, rejet de la poésie soumise
à la domination d'une classe, d'un dieu, d'un sujet:
au «Cogito, ergo sum» de Descartes, il s'agit
d'opposer le constat selon lequel le poète n'est
pas le producteur mais le produit de sa production. «JE
est un autre», déclare Rimbaud, et, dès
lors, le poète est dépossédé
de son identité, de sa liberté. À la
mort de la subjectivité correspond la naissance de
la poésie moderne. Désormais, l'œuvre embrasse
son producteur; celui-ci est immergé dans une errance
qui se confond avec la quête créatrice: «Et
dès lors, je me suis baigné dans le Poème/De
la Mer, infusé d'astres et lactescent» (le Bateau
ivre). Désormais, selon la formule d'André
Breton, «la poésie est le contraire de la littérature».
L'aventure
du voyant
La
seconde lettre, du 15 mai, adressée à Paul
Demeny, systématise ces quelques intuitions: liant
les contraires (Chant de guerre parisien est présenté
comme un «psaume d'actualité»; Rimbaud
proclame: «Voici de la prose sur l'avenir de la poésie»),
s'acharnant sur la vieillerie poétique, les clichés
du romantisme, sur le Moi et sur le divorce entre le poète
et la cité, ce manifeste donne la voyance pour enjeu
de la poésie et le dérèglement de tous
les sens pour son moyen. Que le prix à payer soit
énorme, peu importe: au bout de cet horrible travail,
il y a le savoir suprême. Malade, criminel, maudit,
le poète se fait «voleur de feu» et accepte
de plonger dans l'inconnu – «là-bas» –
pour en rapporter de la forme ou de l'informe. Cette poétique
était, en effet, révolutionnaire: choisir
les sens contre le sens – «littéralement et
dans tous les sens» est l'une des formules lancées
par Rimbaud pour appréhender ses poèmes –
implique que le discours exprimant un déjà-là
et imitant la réalité soit déclassé
au profit de l'ivresse du verbe. Dès lors, la poésie
accueille tout ce qui excède et met en péril.
Cela se traduit dans la production de Rimbaud par Mes petites
amoureuses, les Premières Communions, les Poètes
de sept ans et surtout Ce qu'on dit au poète à
propos de fleurs (art poétique antiparnassien), qui
exercent une frénésie dévastatrice
contre tout système, qu'il soit social, moral, institutionnel
ou poétique. Et comme Rimbaud a choisi la Commune
contre l'ordre bientôt sauvagement rétabli,
il écrit à la même période la
plupart de ses poèmes révolutionnaires (Chant
de guerre parisien, l'Orgie parisienne, les Mains de Jeanne-Marie).
Enfin, conséquent avec lui-même, il demande
à Paul Demeny de détruire le premier recueil
qu'il lui avait confié.
Verlaine
En
septembre, Rimbaud rejoint à Paris Verlaine, qui
lui a répondu dès sa deuxième lettre:
«Venez, chère grande âme.» Verlaine
quitte sa très jeune femme, Mathilde, qui lui donne
un fils fin octobre, et commence avec le «Satan adolescent»
deux années d'une relation semée d'orages
et de brouilles. En 1873, à Bruxelles, Verlaine,
ivre, tirera sur Rimbaud à nouveau prêt à
le quitter, et sera condamné à une peine de
prison. (En 1875, ayant purgé sa peine, il rencontrera
une dernière fois Rimbaud, alors précepteur
à Stuttgart, et tentera, en vain, de lui faire partager
sa foi.) Deux ans de bohème (la vraie, celle des
clochards de la place Maubert, celle de l'alcool et de la
drogue) et de parasitisme, entrecoupés de retours
à Charleville (en 1872), où, tandis que Verlaine
écrit Romances sans paroles, Rimbaud rêve à
des «espèces de romances», compose la Rivière
de Cassis, Michel et Christine (repris dans Une saison en
enfer) et songe à ses Études néantes,
en pratiquant l'hallucination verbale. Entre les deux compagnons,
le fossé s'élargit: Rimbaud est décidément
du côté d'une autre poésie, de l'«alchimie
du verbe» et des sens, quand Verlaine est revenu à
la «fadasserie» subjective. Pris de vertige devant
sa propre aventure intérieure, Rimbaud compose alors
Une saison en enfer, qui est, entre autres, un voyage au
bout de son enfer (avec Verlaine, avec la poésie,
avec lui-même) et un bilan poétique. Texte
de haine, texte âpre, Une saisonen enfer atteste le
choix définitif de la prose. «JE» n'y est
même plus un autre, il se cherche en vain, au bord
dangereux de la folie. À dix-huit ans, Rimbaud a
déjà parcouru un atroce chemin.
Les
«Illuminations»
Il
part pour Londres (où il avait déjà
séjourné en 1873) avec un autre compagnon,
Germain Nouveau. Les Illuminations , dont on ne connaît
pas la date d'écriture avec certitude, sont probablement
augmentées à cette époque. Ce sont
quarante-deux textes en prose, dont l'interprétation
demeure, aujourd'hui encore, parfaitement incertaine. Si
leurs titres – Conte, Ouvriers, les Ponts, Aube, Métropolitain,
Barbare –, par exemple, semblent clairs, le rapport entre
les titres et les textes brouille aussitôt la lecture.
Plutôt que de chercher d'improbables clés,
mieux vaut sans doute accepter cette difficulté constitutive.
Elle vient notamment de l'incohérence apparente des
images, d'une syntaxe qui privilégie la juxtaposition,
du refus surtout de «faire croire» à la
«vérité» du monde textuel. Surréalité,
fantastique, allusion systématique aux songes et
à l'illusion, destruction finale de ce qu'on croyait
construit font que, selon le mot de Tzvetan Todorov: «On
comprend ce qui est dit, mais on ne sait pas de quoi on
parle.» Dans les Illuminations, ce sont les mots qui
ont l'initiative, ainsi la modernité du premier texte
sans référent ni sens, dont l'auteur déclarait:
«Il faut être absolument moderne.»
L'homme
aux semelles de vent
Pas
plus que ses Poésies, Rimbaud ne publiera ses Illuminations
– le titre est de Verlaine, l'ordre des poèmes de
leur premier éditeur – en 1886. Ne l'attendaient
plus que l'errance, stérile cette fois, les déserts
brûlants, le trafic, les métiers extravagants
(interprète dans un cirque en Suède, chef
de chantier à Chypre, marchand de bazar en Éthiopie),
la gangrène et le délire. «L'homme aux
semelles de vent», comme l'appelle Verlaine, est bien
parti, faisant ainsi l'épreuve de la faillite de
l'art, maudissant la poésie après l'avoir
radicalement bouleversée, parce qu'il l'a confondue
avec l'élan insensé du désir dont elle
ranime indéfiniment la force mystérieuse.
(www.anthologie.free.fr/anthologie/rimbaud/rimbaud.htm
)
Parcours
de Verlaine
À
côté de quelques très beaux poèmes,
l'œuvre de Verlaine oscille entre une production animée
de bons sentiments (la Bonne Chanson, Sagesse), des recueils
aux qualités inégales, et une importante veine
paillarde (Femmes, Hombres, posthumes). Quand elle lui appartient
véritablement, ce qui fait le charme de la poésie
de Verlaine, c'est sa musicalité, à la tonalité
tendre et nostalgique. Il a tout essayé, imposant
le vers impair comme le mètre par excellence de la
fluidité et de la légèreté,
le mètre sans prétention ni pose, qui permet
de saisir les sensations les plus fines au moment même
où elles vont s'évanouir.
La
musique verlainienne
Paul
Verlaine a été un enfant aimé: pour
bien l'élever, son père, officier, démissionne
de l'armée et vient s'installer avec son épouse
à Paris, dans le quartier des Batignolles, en 1851,
après quelques garnisons dans le Midi.
Entrée
dans le monde littéraire
Dès
la classe de quatrième, Paul écrit des vers.
Bachelier à vingt ans, il prend un emploi d'expéditionnaire
à l'Hôtel de Ville. Travail de rond-de-cuir,
certes, mais qui lui permet de se lier avec de jeunes intellectuels
et poètes, qui, déjà plus ou moins
introduits dans le milieu journalistique et littéraire,
lui donnent l'occasion de publier: son premier sonnet, «Monsieur
Prudhomme», satire du bourgeois conformiste et content
de lui-même, paraît dans la Revue du progrès,
dirigée par Xavier de Ricard. Déjà
bohème, amoureux de sa cousine Élisa, mariée
et de sept ans son aînée, Verlaine, d'abord
poète, ne ressent aucune vocation de fonctionnaire.
Dans le salon de Mme de Ricard, la mère de son ami,
il rencontre les écrivains qui comptent dans la décennie
1860-1870: Catulle Mendès, Villiers de L'Isle-Adam,
Anatole France, José Maria de Heredia, Leconte de
Lisle et, surtout, Théodore de Banville, qui règne
alors avec un pouvoir bienveillant sur la littérature.
Inspiration
parnassienne
Devenu
critique littéraire de la revue l'Art, Verlaine reconnaît
Baudelaire comme le plus grand poète du moment et
se réclame de l'esthétique parnassienne. Celle-ci
prescrit l'impassibilité, le refus de la confidence
lyrique et sentimentale au profit d'un travail rigoureux
de la forme pour atteindre à un idéal de beauté
plastique. Il subsiste des traces de cette esthétique
dans le premier recueil que Verlaine fait paraître,
avec succès, en 1866: Poèmes saturniens. Parnassien,
romantique, baudelairien bien sûr dans ces poèmes
placés sous le signe de Saturne – la planète
mauvaise qui distille le poison de la mélancolie
et libère une imagination ravageuse –, Verlaine s'y
montre aussi déjà complètement verlainien.
La première section, Melancholia, chante la résignation,
célèbre le «plus jamais» (never
more), rappelle discrètement quelques souvenirs directement
liés à la passion du jeune homme pour Élisa:
«Après trois ans», «Mon rêve
familier» sont parmi les plus justement célèbres
des poèmes de Verlaine. La troisième, Paysages
tristes, atteint d'emblée le cœur de l'originalité
poétique de Verlaine: l'invention d'un paysage qui
n'est plus l'image d'une passion ou d'un drame (comme chez
les romantiques), qui n'est pas simple prétexte à
un effet esthétique (comme chez les parnassiens),
mais qui devient espace tremblant d'expression et de condensation
des sensations les plus subtiles et les plus menacées
de disparaître. Le paysage verlainien («Soleils
couchants», «Promenade sentimentale», «La
chanson d'automne» et ses «sanglots longs des
violons de l'automne») est le miroir sensuel d'un état
mental, d'une âme qui se disperse et se rêve
tout doucement. Triste toujours, il dit exactement la tonalité
privilégiée d'une poésie d'abord sensible
aux valeurs musicales du langage.
Les
«Vilains Bonshommes»
La
mort d'Élisa, dont la silhouette hante les Poèmes
saturniens – elle en avait d'ailleurs financé la
publication –, vient brutalement frapper Verlaine en février
1867: l'absinthe et les illusions de la vie de bohème
seront une réponse à son chagrin, et, avec
des repentirs suivis de plongées dans l'alcoolisme
et la débauche, Verlaine ne quittera plus ce mode
de vie. Il rencontre François Coppée, Charles
Cros, Charles de Sivry (dont il épousera la demi-sœur),
fréquente les artistes de cabaret, le salon de Nina
de Villard, haut lieu de plaisirs et de boisson, se laisse
pousser une barbe qui deviendra légendaire et participe
aux banquets des Vilains Bonshommes, qui se sont nommés
ainsi en raison de leur allure négligée. En
1869 paraît un deuxième recueil, Fêtes
galantes. Dense et bref (il comporte 22 poèmes),
il possède une remarquable unité: placé
sous le signe de Watteau et de Fragonard, il évoque
un univers à la fois élégant, artificiel
et raffiné. Dans un parc à la française
passent, sous les grands arbres, dans les allées
bordées de statues, auprès de bassins où
murmurent des jets d'eau, des amants pris dans le temps
de la fête: fête galante, où l'on fait
la cour et l'amour dans un clair-obscur équivoque
qui correspond à l'ambiguïté des sentiments.
Sous la clarté lunaire, le vrai ne se distingue pas
du faux, le masque – d'Arlequin, de Colombine, de tous les
personnages de la commedia dell'arte – tient lieu de visage.
Pourtant la fête tourne mal: la danse que mène
Colombine est une danse macabre, et, dans le dernier poème,
«Colloque sentimental», ce sont des fantômes
de l'amour mort qui passent et notent avec indifférence
que le souvenir même de l'amour est mort.
Mathilde,
Rimbaud
Tombé
fou amoureux de Mathilde Mauté de Fleurville, Verlaine
la demande en mariage et compose en son honneur le recueil
intitulé la Bonne Chanson. Poèmes de circonstance
qui dessinent un itinéraire sentimental assez mièvre,
encombré d'éloquence: à la poésie
des deux recueils précédents se substitue
un retour à une poésie qui dit, expose, explique.
Le mariage a lieu alors que la guerre de 1870 vient d'éclater.
Bientôt la Commune de Paris est proclamée;
certes, Verlaine est communard, mais il tremble d'être
arrêté et va se cacher à la campagne.
À
son retour, il trouve une lettre timbrée de Charleville.
Signée d'un nom totalement inconnu, Arthur Rimbaud,
elle contient des poèmes qui retiennent son attention.
Il invite le jeune homme, qui se révèle très
vite étrange, développe des théories
révolutionnaires, veut détruire le monde et
changer la vie. Lu à un dîner des Vilains Bonshommes,
le Bateau ivre stupéfie tout le monde. Fasciné
et amoureux, Verlaine ne quitte plus Rimbaud. Il l'introduit
dans le cercle «zutique», fondé par Charles
Cros, ne rentre plus chez lui qu'à l'aube, complètement
ivre, au point que Mathilde, enceinte, exige le départ
de Rimbaud. Mais celui-ci est de retour en mai 1872, et,
en juillet, les deux poètes s'enfuient en Belgique,
puis en Angleterre. Traversée de scènes violentes,
de tentatives de réconciliation, la fugue dure deux
ans – au cours desquels Mathilde demande la séparation,
et Mme Rimbaud lance la police aux trousses de son fils
– et s'achève après le coup de revolver tiré
sur Rimbaud par Verlaine. Condamné à deux
ans de prison, celui-ci s'efforce alors à une double
conversion, morale et mystique, dont les vers de Sagesse
porteront témoignage. Mais le plus réussi
des recueils de Verlaine, son chef-d'œuvre, est né
de cette passion pour l'amant infernal: ce sont les Romances
sans paroles , où tout est devenu musique.
«Sagesse»
et décadence
Sagesse
apparaît comme un point d'aboutissement de six années
mouvementées et dures: deux ans de prison, deux ans
et demi passés en Angleterre comme professeur, deux
ans encore d'enseignement, cette fois en France, à
Rethel, entre 1877 et 1879. Amoureux d'un de ses élèves,
Lucien Létinois, Verlaine passe avec lui quelques
mois en Angleterre. C'est à son retour qu'il fait
paraître Sagesse, d'inspiration fortement chrétienne,
mystique même: la part la plus originale de cette
œuvre consiste en un dialogue entre l'homme et Dieu, entièrement
consacré à l'Amour. Le livre est un échec:
son auteur a trop mauvaise réputation, et la conversion
paraît suspecte. Il faudra presque deux ans pour que
Verlaine revienne un peu dans la vie littéraire:
en collaborant à des revues comme Lutèce ou
la Nouvelle Rive gauche, en se faisant de nouveaux amis,
comme le poète Jean Moréas. Il vit alors avec
sa mère, tente de retrouver un emploi, lorsqu'une
nouvelle souffrance l'atteint: la mort de son jeune ami
Lucien Létinois. Verlaine glisse alors de plus en
plus dans l'alcoolisme et la débauche. Son étude
sur trois «poètes maudits» – Mallarmé,
Corbière, Rimbaud –, parue en 1883, connaît
toutefois un grand succès. Mais Verlaine n'est plus
créateur: publié en 1884, Jadis et Naguère,
qui contient le fameux «Art poétique» («De
la musique avant toute chose») à la gloire du
vers impair, reçoit un accueil réticent. La
composition des textes de ce recueil s'étale sur
une quinzaine d'années: les plus anciens sont d'avant
l'arrivée de Rimbaud à Paris, comme un écho
sinistre des Fêtes galantes. La section médiane
contient des textes de 1873-1874, notamment Crimen amoris,
récit de l'aventure spirituelle avec Rimbaud, le
mauvais ange de seize ans. La fin de Jadis et Naguère
est beaucoup plus disparate.
De
dérives en repentirs
Les
années qui suivent sont parmi les plus noires qu'ait
connues Verlaine, dans la misère et l'isolement.
Il perd sa mère en janvier 1886. D'hôpitaux
en hébergements provisoires, le poète traîne
son arthrose et sa stérilité. Le seul texte
marquant de cet «entracte noir absolument», comme
il le dit lui-même, au cours duquel il est devenu
clochard, est sa préface aux Illuminations de Rimbaud.
Après deux années de dérive, il retrouve
un peu de force: en 1888, Jules Lemaître, en écrivant
un article intitulé «Un revenant», consacre
cette résurrection. Mais l'embellie est brève:
après l'échec d'une nouvelle passion homosexuelle,
Verlaine retrouve l'hôpital. La publication d'un recueil
très érotique, Parallèlement, qui succède
à deux livres d'inspiration chrétienne, Amour
et Bonheur, ne suffit pas à le remettre au premier
plan. Pourtant, Barrès et le comte Robert de Montesquiou
se font ses mécènes. Il écrit encore:
des poèmes lascifs, voire obscènes, Chansons
pour elle et Odes en son honneur; des souvenirs réalistes,
Mes hôpitaux, Mes prisons; un texte chrétien
très rhétorique, Liturgies intimes; enfin,
Élégies, poèmes en l'honneur de la
prostituée dont il partage la vie depuis quelque
temps. Sa dernière activité consiste en conférences
littéraires: en Hollande, fin 1892; en Belgique l'année
suivante; en Angleterre enfin. La reconnaissance est tardive:
en 1894, deux ans avant sa mort dans la misère, qu'il
cherche à tromperpar l'alcool, et la détresse,
il est sacré, enfin, Prince des poètes.
L'influence
de Rimbaud
L'itinéraire
poétique de Verlaine est autant travaillé
par les contradictions que ses choix existentiels: un abîme
sépare ses premiers recueils de tous ceux qui suivent
la rupture avec Rimbaud. Car cette aventure apparaît
bien comme la ligne de partage la plus décisive de
sa vie: au jeune homme épris d'une cousine, puis
d'une toute jeune fille qu'il rêvait d'épouser,
elle a d'abord révélé son désir
profond et le franchissement nécessaire de toutes
les limites qu'un choix comme celui-là implique alors.
Mais au moment même où, en fuite avec Rimbaud,
Verlaine s'accomplit le plus parfaitement comme poète,
et où il vit avec son compagnon un vagabondage qui
le séduit vraiment, il cherche à sauver son
mariage, supplie Mathilde, s'épouvante devant les
conséquences de ses actes. Anticonformiste, il dissimule
avoir été communard. Tenté par une
vie rangée et laborieuse, il s'abandonne à
toutes les facilités. Et ses blasphèmes sont
presque contemporains de ses repentirs et de ses élans
chrétiens.
Ruptures
poétiques
De
part et d'autre de la passion de Verlaine pour Rimbaud,
sa poésie exhibe la violence des ruptures que l'inconnu
de Charleville a provoquées; Rimbaud a obligé
Verlaine à renoncer à l'héritage accepté
du lyrisme romantique, à la nostalgie des temps heureux
où l'amour devait être possible, où
la femme était mère ou sœur en même
temps qu'amante, à la douceur de la mémoire
qui retient dans ses mailles des sensations délicates
et recompose un tout petit monde-jardin où passent
des oiseaux et une silhouette de femme aimée. Celui
qui clamait la nécessité d'une pensée
objective, contre la sentimentalité des romantiques,
qu'il jugeait imbécile et complaisante, a arraché
Verlaine à sa faiblesse, à ses gémissements,
à son goût de la confidence: «fadasseries»,
disait-il à Verlaine, qui, à son écoute,
a trouvé une voix et une parole authentiques. Elles
sont faites d'une confusion intime et bouleversante entre
le moi et le monde, qui se perdent l'un dans l'autre – dans
la dernière des Ariettes oubliées par exemple:
«Combien, ô voyageur, ce paysage blême/Te
mira blême toi-même» –, d'une plongée
dans la rêverie lumineuse comme une toile de Monet
ou de Renoir, musicale comme une œuvre de Fauré ou
de Debussy. Grêle, frêle, toujours sur le point
d'atteindre le silence, la mélodie de Verlaine, dans
ses plus beaux poèmes, est sans doute la plus haute
réussite de la poésie musicale: à l'éloquence,
il a préféré la chanson; à la
réalité, la fluidité, le vague; l'indécis
au précis; la nuance à la couleur; le moment
de l'envol, celui de la partance, au point d'arrivée.
Sa poésie, comme lui, se cache subtilement, selon
le vers de Mallarmé: «Il est caché parmi
l'herbe, Verlaine.»
(www.infopedi.com/poetes/pverlaine.htm)
Homosexualité
Dans
la France des années 1870, l'amour entre hommes n'est
pas punissable, mais il demeure sujet à railleries
et honte sociale. Ainsi en témoigne la relation tumultueuse
entre les poètes Paul Verlaine (1844-1896) et Arthur
Rimbaud (1854-1891). Après avoir reçu quelques
poèmes et une lettre du jeune prodige de Charleville,
ébloui par le génie de son cadet, Verlaine
invite Rimbaud à Paris. Il tombe aussitôt amoureux
de l'adolescent et abandonne femme et enfants.
Sortant
ensemble dans les théâtres parisiens, le couple
sera vite l'objet de ragots. Ainsi, Jules Renard retiendra
dans son journal la relation entre Verlaine et Rimbaud d'une
drôle de façon en notant: "Est-ce que le fils
de Verlaine ressemble à Rimbaud?" Dès 1872,
les deux amants errent à travers l'Europe, entre
Londres et Bruxelles. S'ensuit leur période de création
la plus intense. Rimbaud laisse éclater sa passion
pour son aîné: "Je suis à lui chaque
fois / Si chante son coq gaulois". A noter que l'écrasante
majorité des éditions ont délibérément
ôté le caractère érotique de
ce vers, en imprimant: "Salut à lui, chaque fois
/ Que chante le coq gaulois."Dans "Une saison en enfer",
le seul texte publié par Rimbaud de son vivant, écrit
juste après l'incident de Bruxelles pendant l'été
1873, où Verlaine, dans un moment d'ivresse, tire
deux coups de feu sur son ami, Rimbaud relate les tumultes
de leur relation. Verlaine est "l'époux infernal"
et lui-même se représente sous les traits de
"la vierge folle":
"Je
vais où il va, il le faut. Et souvent il s'emporte
contre moi, c'est un démon, vous savez, ce n'est
pas un homme. Il dit: 'Je n'aime pas les femmes'. L'amour
est à réinventer, on le sait (...) Nous nous
accordions. Bien émus, nous travaillions ensemble.
Mais après une pénétrante caresse,
il disait: 'Comme ça te paraîtra drôle,
quand je n'y serai plus, ce par quoi tu as passé.
Quand tu n'auras plus mes bras sous ton cou, ni mon coeur
pour l'y reposer, ni cette bouche sur tes yeux. Parce qu'il
faudra que je m'en aille très loin un jour' (...)
Un jour peut-être il disparaîtra merveilleusement;
mais il faut que je sache, s'il doit remonter à un
ciel, que je voie un peu l'assomption de mon petit ami.
Drôle de ménage!"
Accusé
par un Rimbaud désespéré, Verlaine
sera condamné à deux ans de prison pour son
acte de folie. Pendant son incarcération, il veut
oublier son amant et se reconvertir à la religion
de son enfance. Mais dès sa sortie de prison, il
s'empresse de rejoindre Rimbaud à Stuttgart. Ce dernier
relate ces retrouvailles dans une lettre à son ami
Delahaye: "Verlaine est arrivé ici l'autre jour,
un chapelet aux pinces. Trois heures après, on avait
renié son Dieu et fait saigner les quatre-vingt dix-huit
plaies de Jésus-Christ." Ce sera leur dernière
entrevue avant l'exil définitif de Rimbaud en Abyssinie.
C'est Verlaine qui publiera toute l'oeuvre de son ami et
le fera passer à la postérité, au grand
dam de la famille de Rimbaud, qui ne souhaitait pas voir
diffusés les écrits sulfureux du poète.
Quelques
remarques concernant la publication des oeuvres des deux
auteurs s'imposent: l'édition des Oeuvres Complètes
de Rimbaud dans la collection "Bouquins" (Robert Laffont,
Paris, 1992), présentée par le professeur
Louis Forestier de la Sorbonne, regorge de commentaires
homophobes. Pour ne citer que cela, dans le lexique, sous
"Vie sentimentale", il est écrit que Rimbaud n'a
pas eu de vie sentimentale. Sous "Sexualité", Forestier
est bien forcé d'admettre que certains poèmes
"corroborent l'hypothèse" que la relation entre Verlaine
et Rimbaud a revêtu un "caractère homosexuel".
Il ose même: "les tenants de la liberté sexuelle
lui prêtèrent généreusement de
jeunes et moins jeunes amants", mais là on "verse
dans l'anecdote racoleuse". Forestier revient vite vers
les "données sûres": à passé
30 ans, il "vécut" avec une femme en Abyssinie pendant
quelques mois, dont la seule trace écrite réside
semble-t-il dans une lettre à un Monsieur Fanzoj
de fin 1885: "Excusez-moi, mais j'ai renvoyé cette
femme sans rémission. Je lui donnerai quelques thalers
et elle partira s'embarquer par le boutre qui se trouve
à Rasali pour Obock, où elle ira ou elle veut.
J'ai eu assez de cette mascarade devant moi. Je n'aurais
pas été assez bête pour l'apporter au
Choa, je ne le serai pas assez pour me charger de l'y reporter.
Bien à vous. Rimbaud." (p. 319)
A
noter également que les "Oeuvres poétiques
complètes" de Verlaine, parues dans la prestigieuse
collection de la Pléïade, n'ont pas inclus le
cycle intitulé "Hombres". Des poèmes qui sont,
selon Dominique Fernandez, "d'un érotisme flamboyant
et qui comptent parmi les plus beaux textes homosexuels
jamais écrits en langue française." Le même
sort a été réservé au fameux
"Sonnet du trou du cul", écrit ensemble par Verlaine
et Rimbaud, qu'on ne retrouve dans aucune édition
des "oeuvres complètes" des auteurs.
http://www.lambda-education.ch/Ressources/Histoire/histchap4.htm
Homosexualité
2
Deux
manuscrits inédits en vente évoquent sa naissance et ses
relations avec Verlaine
(mai
2004, le figaro)
«Depuis
un an, j'habite Londres avec le sieur Verlaine. Nous
faisions des correspondances pour les journaux et donnions
des leçons de français. Sa société était devenue
impossible, et j'avais manifesté le désir de retourner à
Paris. Il y a quatre jours, il m'a quitté pour venir à
Bruxelles et m'a envoyé un télégramme pour venir le
rejoindre. Je suis arrivé depuis deux jours (...) Ce matin,
il est allé acheter un revolver au passage des Galeries
Saint-Hubert (...) Rentrés au logement vers deux heures, il
a fermé la porte à clef, s'est assis devant ; puis, armant
son revolver, il en a tiré deux coups en disant : «Tiens !
Je t'apprendrai à vouloir partir !» Ainsi parla Rimbaud au
commissaire de police, le 10 juillet 1873, donnant une
première version, froide, du «drame de Bruxelles» qui fit
condamner Verlaine à deux ans de prison (1).
«Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,/De beaux
démons, des Satans adolescents/Au son d'une musique
mahométane/Font litière aux sept péchés de leurs cinq
sens/(...) Or le plus beau d'entre tous ces mauvais
anges/Avait seize ans sous sa couronne de fleurs. Croisant
ses bras sur ses colliers et ses franges/Il songeait, l'oeil
plein de flammes et de pleurs...» lui répondit Verlaine
l'impressionniste dans Crimen Amoris, l'un des cinq
«poèmes diaboliques» écrits en prison à Bruxelles
(manuscrit autographe de la première des deux versions de
ce long poème de quatre-vingts vers de Jadis et naguère,
estimé 5 000/6 000 €). Cet adieu du poète «malheureux
et désespéré» par son «moment de folie» inspirera
Picasso pour son mystérieux Garçon à la pipe, désormais
le tableau le plus cher du monde (nos éditions du 7 mai).
Il fait partie d'un fonds Verlaine, provenant de son
infortunée épouse Mathilde Mauté (une dizaine de lots),
qui fait battre le sang aux tempes des érudits, notamment
des rimbaldiens qui savent y lire mille traces (2). André
Vial eut accès, dans les années 60, à ce fonds de très
directe provenance et en avait tiré un ouvrage, Verlaine et
les siens (Nizet, 1975). Il y étudia la liste des vingt
poèmes de Rimbaud, probablement établie par Verlaine pour
une édition des poésies de son compagnon qui n'a jamais pu
paraître, indiquant pour chacun le nombre de vers prévus :
«Les chercheuses de pous... 20/L'homme juste... 75/Les
voyelles... 14/Oraison du soir... 14» (grand feuillet
autographe estimé 10 000/ 12 000 €).
L'érudit ne vit pas le manuscrit du poème de Rimbaud,
Mémoire, qui fait la couverture du catalogue Tajan et qui
passionne les chercheurs par les hypothèses littéraires
qu'il soulève (D'Edgar Poe, famille maudite, un titre lu
comme une filiation littéraire jusque-là pressentie,
quarante vers d'une belle écriture descendante, estimé 80
000/100 000 €). «Que font dans les archives de la famille
de Verlaine, durement meurtrie par le scandale de Bruxelles,
toutes ces traces rimbaldiennes, notamment son plus beau
poème ?», s'interroge André Guyaux, professeur de
littérature française du XIXe siècle à la
Sorbonne-Paris-IV et éditeur de la future Pléiade sur
Rimbaud.
«Traditionnellement, on date ce poème de 1872, soit parmi
«les derniers vers» du futur prosateur d'Une saison en
enfer en 1873 (3) et des Illuminations en 1874 (4). Sa forme
connue fait disparaître les majuscules en début de vers,
permettant à ses alexandrins et ses quatrains, notamment
par la technique de l'enjambement, de mimer la prose. Cette
version inédite, retrouvée dans les papiers de Verlaine,
conserve la majuscule de début de vers. Ne contribue-t-elle
pas à modifier la date de ce poème et à pousser vers
l'hypothèse de 1873», explique l'exégète.
Second
indice ? La transcription, de la main de Rimbaud, d'un autre
des cinq «poèmes diaboliques» sans doute écrits en
prison par Verlaine en 1873, qui pourrait éclairer les
relations entre les deux hommes et la collaboration
littéraire entre les deux poètes. Ce Dom Juan pipé,
manuscrit allographe d'un poème de Jadis et naguère, long
de 140 vers, riche de nombreuses variantes avec le texte
imprimé en 1884, est l'une des trois transcriptions connues
d'un poème de Verlaine par Rimbaud (quatre pages
réattribuées in extremis à Rimbaud et donc réévaluées
par l'expert Alain Nicolas autour de 50 000/60 000 €). Une
première se trouve à la Bibliothèque Doucet. La seconde
fut vendue lors de la prestigieuse dispersion du marquis
Dubourg de Bozas, héritier de Gustave Chaix d'Est-Ange,
l'avocat de Baudelaire qui défendit Les Fleurs du mal
contre les censeurs.
«Pourquoi Rimbaud a-t-il retranscrit les poèmes de
Verlaine ? Et surtout quand ? On peut penser que ce
poème-ci, comme d'autres attribués à un Verlaine
incroyablement prolifique en prison, date de l'hiver 1873»,
souligne André Guyaux. Verlaine lut en cellule un
exemplaire d'Une saison en enfer. Certains évoquent une
visite de Rimbaud, sans aucune certitude.
D'autres une correspondance disparue témoignant de cette
époque au silence symbolique. Chaque nouvelle trace
approche le mystère des poètes, et l'épaissit encore.
(1)
Volume édité par Antoine Adam pour La Pléiade, Gallimard,
1972.
(2) Vente par Tajan SVV et leur expert Alain Nicolas, le
libraire des Neuf Muses, le 25 mai à Drouot.
(3) La BNF préempta à 2,9 MF, à la vente Guérin chez Me
Tajan le 17 novembre 1998, le seul brouillon connu d'Une
saison en enfer.
(4)
L'expert Mme Vidal-Mégret vendit autour de 11,5 MF le
manuscrit des Illuminations dans les années 50 (préempté
par la BN). Depuis, la BNF a préempté à 3,3 MF la Lettre
du voyant en mars 1998 à la vente Jean Hugues (Me Renaud).

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